Accompagner le changement
Objet du chapitre
« Il faut cesser de croire que parce qu’une idée est bonne, elle passera naturellement dans les faits. » Michel Crozier dans L’Entreprise à l’écoute.
L’accompagnement au changement au sein des organisations est devenu récemment un élément à part entière de la boîte à outils du manager. Les générateurs de changements sont multiples :
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L’organisation (système hiérarchique, processus métiers et procédures de gestion).
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Les conditions et l’environnement de travail.
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Les outils (et en particulier les outils informatiques).
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La stratégie de l’entreprise.
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La culture de l’entreprise et son système de valeurs, etc.
Un projet, qu’il soit informatique ou pas, est par nature générateur de changements. On notera d’ailleurs que le terme « changement » est utilisé au sein de certains organismes pour désigner un concept intégrant la notion de projet.
Ainsi, de manière certaine, un projet perturbe un ou plusieurs éléments de l’entreprise : organisation, outils, ressources humaines, etc. Dès lors, tout changement génère des freins ou oppositions (principalement au niveau humain mais pas exclusivement).
Notre expérience montre que les freins au changement sont...
Sources du changement
Les sources du changement au sein des organisations sont multiples. On peut indiquer par exemple :
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Les générateurs externes
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L’environnement concurrentiel qui contraint à la mise en place de certaines évolutions (changement adaptatif).
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La mondialisation des économies.
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L’évolution d’une économie de masse vers une économie du savoir.
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Une réglementation qui évolue ou une contrainte technique, etc.
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Les générateurs internes
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Une crise (accident, grève, etc.) qui nécessite de changer très rapidement (changement de crise).
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Une évolution organisationnelle.
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La mise en place de nouveaux outils.
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Les ressources humaines.
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La stratégie de l’entreprise qui évolue fortement, etc.
En tant que chef de projet, il importe finalement peu d’analyser les sources d’un changement. Ce qui est par contre certain, c’est que les projets sont, au sein des organisations, les véhicules du changement. Ainsi, un projet est génétiquement source du changement car la raison d’être du projet est bien de porter le changement : le projet naît de la volonté ou de la nécessité de changer.
Enjeux et objectifs de l’accompagnement au changement
Les enjeux de l’accompagnement au changement sont assez simples : il s’agit de mettre en place un certain nombre d’actions complémentaires aux actions techniques qui font que le projet aboutit dans des conditions de délais et de coûts acceptables et en générant la valeur ajoutée attendue.
Il s’agit ainsi de maximiser les chances de succès du projet en agissant sur la dimension humaine et organisationnelle (en plus des dimensions techniques, pilotage, etc. qui sont les axes classiques liés à la gestion de projet) et ainsi de maîtriser le changement en assurant :
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L’adhésion des individus.
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La transformation et l’évolution de l’entreprise au niveau des ressources humaines et de son organisation formelle.
Enfin, tous les projets génèrent une perte de productivité au niveau des opérations au moment de l’entrée en production. À ce moment du projet, la productivité des équipes opérationnelles diminue et exige un effort d’apprentissage pour retrouver le niveau initial et dépasser ce dernier.
Les objectifs de l’accompagnement au changement sont multiples. Il s’agit de :
Susciter l’adhésion des acteurs
L’adhésion des parties prenantes du projet se joue d’abord au niveau des individus....
Processus d’accompagnement au changement
Le schéma suivant présente le processus de mise en place de l’accompagnement au changement. Le processus proposé est matérialisé sous la forme d’une boucle car il ne s’arrête jamais tout au long du projet.
Le processus est ainsi engagé dès les phases les plus en amont du projet par une analyse de l’impact du projet selon l’axe humain et l’axe organisationnel.
Les actions d’accompagnement au changement sont issues de l’analyse d’impact et sont classées selon les cinq leviers du changement. Ces actions sont ensuite estimées (coûts, délais, charge de travail, etc.) et planifiées selon les règles présentées dans le chapitre Planifier et piloter. Cette planification fait l’objet d’un document spécifique appelé « plan d’accompagnement au changement ». Le plan est ensuite exécuté et suivi selon les règles de pilotage de projet.
Les résultats sur le terrain des actions du changement sont placés sous une surveillance continue afin de s’assurer de l’adhésion des acteurs et que la transformation s’opère. Les outils mobilisés lors de l’analyse d’impact sur les ressources humaines et de l’analyse d’impact organisationnel sont de nouveau...
Accompagnement au changement au sein du processus de gestion de projet
1. Interactions entre le plan projet et le plan d’accompagnement au changement
Le processus d’accompagnement au changement est matérialisé par le plan d’accompagnement au changement qui accompagne le plan projet.
Il est important de noter que le plan maître est bien le plan projet et que le plan d’accompagnement au changement accompagne le plan projet. Ainsi les actions du plan d’accompagnement au changement sont dépendantes dans leur planification des actions du plan projet. Par exemple, une action de formation sur un nouveau système ne sera possible que quand le système sera mis en place.
Il convient donc d’intégrer les actions d’accompagnement au changement et les actions projet dans le même outil de planification afin de pouvoir matérialiser les dépendances qui existent entre ces deux natures d’actions.
2. Accompagnement au changement : un processus continu
Il est courant de constater que des actions de type accompagnement au changement sont engagées au sein des projets seulement au moment de la mise en production du futur système (actions de formation par exemple). Ce point constitue selon nous un défaut de pilotage du projet.
Ainsi, il est conseillé d’engager le processus de changement dès la phase d’avant-projet et de le poursuivre jusqu’à...
Analyse d’impact organisationnel
1. Mener l’analyse
L’analyse d’impact organisationnel est principalement basée sur l’analyse des processus métiers. En effet, il existe potentiellement un écart entre le mode d’organisation du travail existant et le mode d’organisation du travail futur engendré par le changement (par le projet). L’analyse de niveau processus est donc basée sur une analyse d’écarts entre les activités des processus en place et les activités des processus cibles qui seront mis en place avec le projet.
Le chapitre Capturer et formaliser le besoin propose plusieurs modes de représentation des processus de travail (représentation sous forme de logigramme par exemple). Il convient donc d’analyser les écarts entre les logigrammes existants et les logigrammes cibles.
Cette analyse doit permettre d’identifier les activités des processus métiers qui vont disparaître ou au contraire celles qui vont être créées ou encore modifiées. Il se peut ainsi qu’un processus soit modifié globalement ou partiellement ou encore disparaisse.
L’analyse des écarts peut faire émerger des freins rationnels comme :
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Une réduction importante de charge de travail ou au contraire de nouvelles charges de travail.
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Une apparition de nouvelles activités nécessitant...
Analyse d’impact sur les ressources humaines
1. Résistances au changement
Les résistances au changement les plus fortes concernent les ressources humaines. Il convient de considérer que tout changement fait peur et que le premier réflexe est de repousser le changement qui s’annonce. Le changement n’est pas souvent facilement accepté, de manière rationnelle ou pas, car il constitue une rupture de l’équilibre existant. Les causes de blocage ne sont donc pas structurelles la plupart du temps, mais humaines.
Le changement nécessite à chacun d’opérer un deuil par rapport à une situation connue et maîtrisée et d’engager un effort d’adaptation.
a. Courbe de deuil-acceptation (cas d’un changement imposé)
La courbe suivante (inspirée des travaux de la psychiatre et psychologue Élisabeth KüblerRoss) présente les étapes qui s’appliquent à toute forme de perte. Dans le cas d’un projet, il s’agit de la perte d’une situation de travail connue et confortable.
La première réaction d’un acteur est celle du déni ou du refus. Le temps et les actions d’accompagnement au changement font alors leur œuvre jusqu’à la phase d’acceptation.
En matière de gestion de projet et d’accompagnement au changement, il convient de tirer quelques enseignements de ce type d’analyse :
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Le chef de projet doit lui-même accepter ce processus de deuil de certains acteurs du projet et ne pas entrer en opposition frontale avec les parties prenantes lors des phases délicates sous peine de mettre le projet en situation de blocage (déni, colère, etc.).
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Le processus de deuil doit être accompagné par des actions afin qu’il ne soit pas rompu. Les actions de communication sont essentielles pour atteindre cet objectif.
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Il convient d’admettre que certains acteurs n’acceptent pas le changement. Il faut alors envisager de les exclure du périmètre projet si le nombre de ces acteurs n’est pas significatif au regard de la cible du changement.
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Il est important lors de la phase de négociation d’être susceptible d’offrir de réels points de négociation. Vouloir tout imposer sans accepter des marges de négociation avec...
Définition d’une stratégie d’accompagnement au changement
Avant de concevoir la liste des actions d’accompagnement au changement selon les cinq types d’actions identifiées (communication, organisation, formation et gestion des compétences, documentation et assistance) et une fois l’analyse d’impact sur les processus organisationnels et les ressources humaines réalisée, il convient de définir une stratégie d’accompagnement au changement.
Le défi pour le porteur du changement (par exemple le chef de projet) est de déterminer la stratégie qui donnera les meilleurs résultats. Cette stratégie est essentiellement contrainte par les objectifs du projet (la raison d’être du projet est bien d’atteindre ces objectifs) et l’analyse d’impact réalisée (l’impact organisationnel et humain ne doit pas conduire à un blocage du projet). Il s’agit donc de trouver le meilleur chemin entre ces deux contingences.
La formulation de cette stratégie peut passer par la formulation de réponses à plusieurs questions :
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Faut-il engager un changement relativement rapide ou proposer un processus qui s’inscrit dans la durée de manière plus prononcée ?
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Doit-on engager un changement dans le périmètre cible de manière globale dès le début (stratégie de big-bang) ou opérer par déploiement progressif ?
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Faut-il introduire rapidement des changements au niveau des pratiques de travail ou proposer un changement plus gradué ?
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Les acteurs sont-ils convaincus de la nécessité de changer ou faut-il d’abord les convaincre ?
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La cible du changement est-elle claire et compréhensible ?
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Quel plan d’actions et quel ordonnancement des actions sont à adopter pour conduire le changement ? Etc.
Afin de trouver des réponses à ces questions, il est proposé deux outils : le modèle en huit phases de changement de Kotter et la formule du changement de Beckhard. Nous apportons ici librement notre propre analyse et interprétation de ces outils au regard de notre expérience tout en respectant, nous l’espérons, l’esprit de ce qui a été exprimé par leurs auteurs.
1. Modèle...
Levier communication
1. Contexte d’incertitude propre aux projets
Les actions de communication constituent un levier essentiel nécessaire au processus d’accompagnement au changement dont l’importance est, à notre avis, souvent sous-estimée.
Par exemple, la manière de faire adhérer des salariés à une cible de changement consiste à décrire cette cible et à la communiquer. Le chef de projet est amené à communiquer sur un futur incertain et qui pourrait aller à l’encontre des attentes et intérêts de certains acteurs du projet.
2. Nombre d’acteurs
Plus le nombre d’acteurs impactés par le projet est important, plus le travail de communication est complexe car il doit tenir compte des éléments d’appréciation de tous. Ainsi, une bonne communication nécessite d’adapter son discours en fonction des différentes catégories de cibles de communication. Il faut en effet envisager une communication efficace plutôt qu’une communication uniforme et massive.
3. Information versus communication
Une erreur caractéristique consiste à confondre information et communication. Nous distinguons ces deux notions par les concepts de contenant et de contenu.
a. Choix du média
Prenons l’exemple d’un chef de projet qui envoie un courriel à l’ensemble du personnel impacté par un changement. Le contenu de l’e-mail est l’information et le média e-mail est la communication.
Nous avons constaté qu’en situation de changement, les chefs de projets ne perçoivent pas toujours cette dimension de la communication. Ainsi, dans l’exemple précédent, le chef de projet déclarera avoir communiqué correctement puisqu’il a envoyé le courriel et déplorera que son message n’a pas été pris en compte.
Dans ce cas précis, le message qui n’a pas été pris en compte est symptomatique d’un défaut de communication. Ce qui est remis en cause ici, ce n’est pas le message (le contenu) mais le média (le contenant).
En situation de changement, nombre d’études et expériences montrent que les médias de communication riches possèdent tous la même caractéristique...
Levier organisationnel
Nous positionnons le levier organisationnel dans le périmètre :
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des processus d’affaires (c’est-à-dire des processus métiers) de l’entreprise.
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des procédures et modes opératoires mis en œuvre.
Les actions d’accompagnement au changement pour ce levier sont homogènes puisqu’il s’agit essentiellement :
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D’engager un travail de réingénierie des processus de l’organisation.
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Modéliser de nouveaux processus.
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Modifier tout ou partie des processus existants.
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D’écrire de nouvelles procédures et de nouveaux modes opératoires.
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De modifier tout ou partie des procédures existantes ou des modes opératoires existants.
Le formalisme de représentation des nouveaux processus et nouvelles procédures est identique à celui utilisé pour l’analyse d’impact (on utilise par exemple la représentation sous forme de logigramme).
Ce travail de réingénierie est la suite logique de l’analyse d’impact sur l’organisation du travail. La réingénierie des processus a ici pour objectif d’adapter les processus d’affaires pour accompagner le projet. Par exemple, la mise en place d’un nouveau projet informatique conduit potentiellement à revoir la nature et l’ordonnancement des activités.
Par ailleurs, bien...
Levier formation et gestion des compétences
L’impact sur les processus de travail et l’impact sur les ressources humaines sont fortement liés (voir la section Identification des freins rationnels). Ainsi, l’analyse des processus d’affaires permet d’identifier les activités supprimées, nouvelles ou encore modifiées par le projet.
Il convient donc de s’assurer que les ressources humaines concernées disposent (ou disposeront le moment venu) des compétences nécessaires à la bonne mise en œuvre de ces processus remaniés.
Les étapes de travail à mettre en œuvre pour mener à bien cette adaptation des compétences humaines sont les suivantes :
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Analyser les compétences disponibles.
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Qualifier les compétences nécessaires au changement.
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Mesurer l’écart entre les compétences disponibles et les compétences nécessaires.
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Mettre en place un dispositif d’évolution des compétences des personnes selon deux axes.
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Accompagnement sur le poste de travail.
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Formation.
1. Analyse des compétences et des écarts
Nous suggérons ici une analyse des compétences basée sur les activités identifiées au sein des processus comme présenté dans la matrice ci-dessous.
Les activités des processus d’affaires (gestion des marchés, contrôle des marchés, etc.) sont ici regroupées par thématiques (gestion des actes, préparation budgétaire, etc.). Cette matrice des activités est complétée :
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Par le manager et/ou le chef de projet pour exprimer les attentes sur le poste activité par activité sur une échelle de classification de 0 à 4 pour chaque personne.
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Par une évaluation de la personne (qui peut être une auto-évaluation) sur la même échelle de classification.
Il apparaît ainsi les écarts de compétences d’une...
Levier assistance
Après la phase de formation et d’accompagnement sur le poste de travail, il se peut qu’il soit nécessaire de permettre aux acteurs de bénéficier d’une assistance opérationnelle et ponctuelle en situation de travail. Nous suggérons deux formes d’assistance :
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Une assistance de proximité.
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Un centre de service et d’assistance.
1. Assistance de proximité
L’assistance de proximité s’appuie essentiellement sur les ressources de niveau expert au sein des services et des directions de l’entreprise (ressources identifiées de niveau 4 au cours du travail d’analyse de compétences).
Par exemple, dans le cas d’un projet informatique, on identifie des utilisateurs clés (ou experts) auxquels sont confiées des missions en plus de leur travail habituel. Ces utilisateurs peuvent être considérés comme un support de niveau 1 et une assistance de proximité (le support de niveau 2 relevant de la direction informatique par exemple).
Les missions d’un utilisateur clé sont typiquement :
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D’apporter un support et une assistance de proximité.
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De former les utilisateurs.
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D’être un canal de communication privilégié entre les utilisateurs et le support de niveau 2.
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D’identifier les formations nécessaires pour les utilisateurs dans leur périmètre...
Levier documentation
La documentation vise à répondre à deux objectifs principaux :
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l’apprentissage du système ;
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l’assistance pendant l’utilisation du système en situation de travail.
La documentation utilisateur est donc un complément au dispositif de formation et de gestion des compétences. Elle est un support essentiel de l’apprentissage et doit être mise au point avec une perspective utilisateur et non technique. Elle est aussi utilisée lors des opérations par les utilisateurs.
Les documentations au format papier, souvent volumineuses, sont de moins en moins au goût du jour car peu consultées par les utilisateurs. Les aides en ligne semblent plus efficaces en situation de travail mais pas toujours pratiques en phase d’apprentissage.
Les outils web comme les wikis, les portails intranet se sont développés dans le domaine et sont d’une efficacité bien meilleure comparativement au traditionnel manuel utilisateur. Il en est de même des supports au format audio et vidéo qui sont faciles d’accès pour l’utilisateur (accessibles via un portail intranet par exemple).
Si les procédures et modes opératoires sont indispensables au travail d’ingénierie organisationnelle, ces outils ne sont pas utilisables de manière efficace en situation d’apprentissage. Ils sont potentiellement...
Pilotage du plan d’accompagnement au changement
Du point de vue de la fonction de pilotage, le plan d’accompagnement au changement est tout à fait comparable à un autre plan : il s’agit d’actions (de communication, de formation, de documentation, d’assistance, etc.) qu’il convient d’estimer (coût, délai, charge de travail) et d’ordonnancer dans l’objectif de bâtir un planning physique et financier de cette partie du projet.
Ainsi, qu’il s’agisse d’un plan du changement ou de tout autre type de plan n’y change rien, le plan d’accompagnement au changement se pilote avec les mêmes méthodes et outils que ceux présentés dans le chapitre Planifier et piloter du présent ouvrage.